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  • Photo du rédacteurDiane de Basly

Pascale Brillon : comment prendre soin de ceux qui prennent soin ?


A écouter en replay ou podcast :


Le descriptif de l'émission :


Grande psychologue québécoise, Pascale Brillon nous parle du nouveau mal du siècle : la fatigue de compassion, qui touche les "aidants" que nous sommes tous, parents ou enfants de parents vieillissants. Elle nous confie ses stratégies d'auto-soin, pour continuer à prendre soin des autres.

L'Edito-philo de Charles Pépin

"Je voudrais ce matin vous raconter l’histoire d’une femme, ou plutôt, l’histoire d’une fatigue. C’est une femme qui aime prendre soin, elle en a même fait son métier, et c’est un métier qui, longtemps, l’a rendue heureuse. La détresse des autres était son quotidien, la souffrance des autres, leur angoisse, leurs symptômes, c’était son quotidien, mais elle s’en sortait bien, savait garder la bonne distance et, le soir venu, même quand avec ses patients elle avait traversé la nuit, elle savait trouver la légèreté, rire et s’amuser. Même quand, quasiment tous les jours de la semaine, elle avait été confrontée au pire de ce que la vie fait aux hommes, elle savait encore, le week-end venu, contempler la beauté, s’émerveiller d’un paysage ou d’un tableau, ou simplement se réunir avec ses vieux potes dans un bon resto. Elle n’aurait pu vivre sans se dévouer comme elle le faisait à un métier de soin, convaincue comme le neuroscientifique Panksepp que prendre soin des autres fait partie des besoins principaux de l’être humain, mais la vie lui offrait aussi de prendre soin d’elle-même, et c’est probablement pourquoi elle prenait si bien soin des autres. Mais voilà, c’était avant…

Qu’est-ce qui s’est passé ? Est-ce que c’est venu d’un coup ? Est-ce qu’il y a eu un déclencheur ? Est-ce le suicide de ce patient qu’elle suivait depuis longtemps ? Est-ce un phénomène d’accumulation, une surcharge émotionnelle ? Est-ce la surcharge logistique qui s’est ajoutée à la surcharge émotionnelle ?


Mais voilà, maintenant elle n’en peut plus, la souffrance des autres, c’est trop maintenant, c’est trop pour elle, elle devient irascible, insensible certains jours à la souffrance de ses patients, insensible ou d’ailleurs trop sensible, et donc contrainte de se murer dans cette insensibilité, parfois même elle n’arrive tout simplement plus à écouter, elle a trop peur que ce soit trop violent, elle était dévouée, inspirée, éveillée ; toute à sa vocation de psychothérapeute, maintenant elle est juste fatiguée, elle ressemble à ses patients, mais ce n’est pas une bonne nouvelle : elle ne leur prend pas leur mal, elle ne leur prend pas leur douleur, elle est juste une aidante qui ne parvient plus à aider et remet tout en question, son métier, son talent, et jusqu’à l’existence de Dieu.

C’est l’histoire de sa fatigue, de sa fatigue de compassion qui ressemble à celle de tant de travailleurs sociaux ou d’infirmières, d’urgentistes ou d’accompagnants… Pourquoi sont-ils si nombreux, les aidants de tous type, à n’en plus pouvoir ? Sont-ils trop empathiques ? Est-ce notre société individualiste qui n’est pas faite pour eux ou ne les valorise pas assez ?

Pour en parler ce matin, j’ai la joie et le privilège de recevoir Pascale Brillon, star de la psychothérapie au Québec qui dispense conférences et formations dans le monde entier, et notamment sur cette souffrance de compassion et cette détresse professionnelle de ceux qui prennent soin, Pascale Brillon donc, auteur notamment d’un livre important aux éditions de l’Homme, Entretenir ma vitalité d’aidant, Pascale Brillon qui nous a rejoint "Sous le soleil de Platon", dans la caverne de France Inter, pour nous aider à répondre à cette belle question, dont nous allons voir qu’elle nous concerne tous : comment prendre soin de ceux qui prennent soin ?"

Des traumatismes spécifiques aux soignants

On espère que le métier de soignant les nourrit, puisse les exalter et donner un sens à leur existence. Mais quand on est soignant, il peut arriver qu’à un moment donné, on glisse de l'empathie à la sympathie comme l’explique Pascale Brillon : « Cette posture qui fait en sorte qu'on résonne plus à la détresse d'autrui, qu'on peut ressentir dans notre chair ce qui se passe pour l'autre, où on a l'impression d'être complètement en résonance avec les traumatismes ou les deuils vécus par la patientèle des soignants, cette douleur, cette détresse peut se transformer en deux syndromes qu'on étudie de plus en plus dans la littérature scientifique, la fatigue de compassion et le trauma vicariant. »

La différence entre l’empathie et la sympathie

La médecine fait aujourd’hui une grande différence entre l'empathie et la sympathie : « L'empathie, c'est la capacité à se plonger dans le monde de l'autre, à identifier son unicité, son individualité et à bien refléter ce qui se passe pour l'autre, alors que dans la sympathie, on plonge dans cet univers, mais on est en résonance, on s'identifie à l'autre et dans plusieurs circonstances, l'ego est aussi impliqué et on se sent particulièrement concerné. »


La fatigue de compassion et le trauma vicariant

La fatigue de compassion, c'est un épuisement alors que dans le trauma vicariant, on se met à avoir les symptômes de ses patients. Par exemple, si on a une patiente qui a été violée, en tant que thérapeute, on va avoir peur de certaines situations avec des hommes comme si ça nous était arrivé : « La fatigue de compassion est un sentiment de lassitude, d'impuissance acquise, de désillusion par rapport à la société et aux patients. Alors que dans le trauma vicariant, c'est davantage teinté par l'anxiété et le stress post-traumatique par procuration. On va réagir à des situations parce que nos patients nous ont décrit en détail l'inceste, l'agression sexuelle ou le génocide qu'ils ont vécu eux-mêmes. On va commencer à développer des symptômes d'évitement ou même de flash-back pour un trauma qui ne nous appartient pas. »

Un traumatisme qu’a subi Pascale Brillon en tant que soignante

Pascale Brillon est spécialiste du stress post-traumatique, elle a développé ce concept de trauma, c'est-à-dire quand le thérapeute développe les mêmes symptômes que le patient : « Ma famille a vécu une perte tragique. Nous avons un grand-père qui a disparu en mer parce qu'il était ingénieur pour les grands barrages québécois. Au-delà des générations, cette tragédie a marqué notre histoire familiale. En faisant ce livre, j’ai beaucoup parlé avec des psychologues, des psychiatres qui me disaient, 'j’ai adoré faire ce métier, ça a été ma vocation, mais j’ai l’impression qu’il est en train de me tuer à présent'. J’ai été touché par ce deuil professionnel, aussi parce que j'avais l'impression, en tant que citoyenne, que nous ne pouvions pas perdre ces valeureux experts qui songeaient à quitter ce métier. »

L’usure compassionnelle

Chez les soignants et notamment les psychologues et psychiatres, on a ce qu’on appelle l’usure compassionnelle où les professionnels trouvent que leur emploi devient répétitif, où les frontières sont devenus trop poreuses et aussi cette impression de manque de sens : « C’est quelque chose qu'on entend beaucoup chez les soignants qui viennent nous voir, qui me disent qu’ils ont choisi ce métier par vocation. parce qu’ils voulaient être aimés, pour donner du sens, et que maintenant, ils ont honte de leurs propres réactions, comme le fait d’être distrait ou exaspéré avec certains patients. »

Comment entretenir sa vitalité d’aidant ?

Les aidants désignent donc les psychologues, les psychiatres, mais également les infirmiers, les ambulanciers ou encore les personnes qui aident leurs parents en fin de vie. Pour Pascale Brillon, il y a plusieurs manières de garder sa vitalité quand on aide les autres :


  • La connaissance de soi : pour éviter cette fatigue émotionnelle chez les aidants, il faut d’abord mieux se connaître selon Pascale Brillon : « Il faut connaître sa zone de fragilité, quels sont les patients avec lesquels on réagit plus fortement, dans quelles situations et ce qui peut faire ressurgir notre propre histoire ou encore pourquoi on a choisi ce métier. »

  • S’exposer à la beauté humaine : dans les métiers de soignants, on est souvent confronté à la laideur, la violence ou encore la petitesse. Pour Pascale Brillon, une des stratégies, c'est de s'exposer à la grandeur et à la beauté humaine : « Parfois, il faut forcer cet élément et prendre le temps de trouver cette beauté dans l’Art par exemple. Pour aller bien. Il faut sortir de soi et revenir à soi, s'oublier et se retrouver. »

  • Le travail sur la blessure morale : la blessure morale est un syndrome qui est vécu la carrière professionnelle d’un soignant : « C’est une action qui va à l’encontre de nos valeurs morales. Par exemple, un urgentiste qui décide de prioriser une personne et pas une autre. Ça peut être des situations qui laissent beaucoup de traces. Il faut apprendre à redonner une forme de souplesse cognitive une résilience. »




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